Etre ou ne pas être…

Il y a près d’un an, le 29 août, peu avant 9h, j’étais dans la rue Jules Bouillon, parmi ceux qui attendaient l’ouverture de cette vieille porte verte, du n°1, avec impatience. C’est par une belle matinée ensoleillée, que j’ai fait la file, pour faire partie des candidats au cursus en Interprétation Dramatique.

Lorsque reculer n’est plus une option

Avant d’arriver devant ce lieu où se déroulaient les épreuves, il me fallait être au clair avec moi-même quant à ce qui m’amenait là. La plupart des candidats se trouvaient devant cette porte par amour pour le théâtre, vu que c’était aussi mon cas, je me disais que j’avais ma place à leurs côtés, sous ce soleil, qui au fil des heures, comme par insolence, se faisait brûlant par intermittence. Outre le fait d’être là par amour pour le théâtre, au point d’envisager d’entreprendre un cursus dans ce domaine, j’étais là pour être visible auprès de l’établissement. Ce à quoi je n’avais absolument pas pensé, c’était les candidats. Ceux qui m’approchaient, considéraient ma présence comme quelque chose d’inhabituel. Ils ont, pour la plupart, participé à des concours, avant celui-ci, et dans les pièces qu’ils ont eu l’occasion de jouer, ils n’ont, pour la plupart, pas eu l’occasion de côtoyer des acteurs ou candidats en fauteuil roulant. Alors, me dire que j’étais à ma place, n’était plus suffisant pour me sentir à l’aise. C’est donc avec des jambes tremblantes que j’avançais dans cette file. Heureusement, je suis en fauteuil roulant, on ne les voyait donc pas. Ma présence n’était pas passée inaperçue, et comme à chaque fois que je porte des lunettes de soleil, pour une raison que je ne saurais expliquer, beaucoup pensent que je ne les vois plus me regarder. Si j’avais pris en considération la présence des candidats, aurais-je été là, ce 29 août 2017? Je ne sais pas. Tout ce que je sais c’est que j’y étais et que j’allais donc vivre pleinement cette expérience. À ce stade, reculer n’était plus une option.

Faire connaissance pour tenir bon

Afin que ma décision de me rendre sur ce lieu, ne soit pas influencée par l’éventuelle inaccessibilité du bâtiment, j’avais évité de me renseigner sur la question avant le début des épreuves d’admission. Mais plus je me rapprochais de l’entrée, plus je ressentais la nécessité de m’adresser à l’un des candidats pour lui demander d’appeler l’un des responsables, dans le cas où il y avait des marches à l’entrée. C’est ainsi que j’ai parlé à Jules qui m’a répondu “Eh bien, la bonne nouvelle c’est qu’il n’y a pas de marches”. Sa voisine, Marine, qui ne le connaissait pourtant pas, approuvait ce qu’il disait. Cette réponse était pleine d’assurance, et ces approbations, surprenantes… Nous nous trouvions tous les trois dans cette même file, et de l’endroit où nous nous trouvions, il était impossible de savoir si il y avait des marches ou non… Comment le savaient-ils? Avais-je manqué une étape dans le processus de pré-inscription, qui nécessitait de se rendre sur les lieux avant ce 29 août? Il ne s’agissait pas de cela. Ouf!

Marine et Jules sont devenus mes “copains de file d’attente” pour un court mais sympathique moment. Quelques minutes durant lesquelles j’ai pu penser à autre chose qu’à mes jambes tremblantes et aux regards curieux. Après tout, j’étais à présent dans ces lieux, parmi ces candidats venus d’ici et d’ailleurs, avec lesquels nous avions en commun l’amour pour le théâtre. Certains avaient plus d’expérience que d’autres, mais nous aimions tous cette amour, c’est quelque chose que nous pouvions partager. J’allais donc pleinement profiter de cette expérience et de la richesse qu’offre le fait de rencontrer de nouvelles personnes. Mes deux “copains de file d’attente” sont tombés sur des gens qu’ils connaissaient, me voila donc à présent aux côtés de Sophie et Jonathan. Il est à peu près midi, c’est à trois que nous sommes entrés et que nous avons été accueillis par l’une des dames qui nous a expliqué le processus en nous remettant le très très long “dossier socio culturel” à rendre le lendemain à 8h30. C’est à trois que nous avons alors continué à faire la file. Jonathan semble sympathique et fait des blagues; Sophie, elle, semble plus réservée et parle de façon posée, avec assurance.
Nous avancions ensemble dans cette file, et parfois, les deux amis parlaient à des gens qu’ils connaissaient, des gens qui faisaient sans doute partie du monde du théâtre. À d’autres moments, c’est moi qui me retrouvais à parler à ceux qui m’abordaient, pour me dire à quel point ils trouvaient que c’était une bonne chose qu’en tant que personne en situation de handicap, je sois là.

La file était longue et nous avions tous, plus ou moins, faim. Alors, faire connaissance étaient la clef pour tenir bon. Il était près de 15h lorsque j’ai quitté les lieux après avoir obtenu mon numéro de série.

Surprise!

Le lendemain matin était pluvieux. La nuit avait été courte pour moi, et lorsque j’ai vu des candidats finir de compléter leur “dossier socio culturel” à l’entrée vers 8h30, j’ai compris que nous étions nombreux à avoir été “torturés” durant la nuit précédente. Pour cette journée, il y avait au programme “la répartition des répliques” et “le visionnage de la pièce filmée”. Je me suis donc dit que c’était plutôt léger comme programme. FAUX!

La répartition des répliques était un long et intense processus durant lequel chaque candidat devait se porter volontaire pour donner la réplique à d’autres pour des scènes de pièces de théâtres qui les intéressaient. Pour se porter volontaire, après que le directeur ait annoncé le numéro du candidat, son nom, la pièce à interpréter ainsi que les rôles à jouer, il fallait se lever…

Bon, me lever était impossible mais faire un signe de la main pouvais, selon moi, faire l’affaire mais, nous étions si nombreux… inutile de préciser que parmi tout ce monde il était impossible de se faire remarquer, surtout en se trouvant tout à l’arrière. Heureusement, Jonathan, arrivé à la place, à mes côtés, parce que toutes les autres étaient prises, s’est proposé de se lever pour moi, en plus du fait de se lever pour lui-même. Mon voisin fatigué à cause du “dossier socio culturel”, se retrouvait à faire des exercices physique improvisés par gentillesse, dès le matin. Après deux longues et interminables heures, notre plan n’avait pas fonctionné. Malgré les efforts de Jonathan, je n’avais toujours réussi à me porter volontaire pour aucune scène. C’était la pause.
Jonathan s’était rendu à la table du jury afin de leur demander d’annoncer que c’est lui qui se lèverait à ma place. Il n’y a rien à faire être à l’arrière ne facilitait pas la visibilité. À un moment donné, vu que j’étais la seule personne à n’avoir aucune scène pour laquelle donner la réplique, l’une des participantes a été obligée de me prendre pour le rôle. Son expression faciale, traduisait son désespoir et le “Ah! Ben d’accord…” qu’elle a dit n’a fait que le confirmer. Jonathan était donc libéré du service qu’il me rendait. Un rôle à jouer dans la scène d’un autre candidat, était suffisant pour passer les épreuves.

Vu que je ne me portais plus volontaire pour aucune scène, j’ai arrêté d’écouter les propositions. Alors que mon esprit était ailleurs, une jeune femme aux cheveux longs et roux s’était tournée vers moi et disait ne vouloir proposer le rôle pour sa scène, à personne d’autre qu’à moi. Quel privilège! Cette attention a provoqué en moi un profond sentiment de joie qui m’en a fait oublier l’expression de désespoir de l’autre actrice. Ce long et intense moment, appelé “La crié” dans le milieu, s’est terminé sur une note positive pour moi. Durant l’après-midi, le visionnage de la pièce filmée nous attendait.

Intensité

Le lendemain matin à 9h, un entretien était prévu. Durant celui-ci, des questions sur le candidat et sur ses sensibilités artistiques lui sont posées. Ensuite, le moment était venu de s’arranger pour le début des répétitions des scènes à présenter au concours.

Nous étions le 31 août, nous avions trois jours avant le début des auditions. En trois jours, que l’on ait trois ou six scènes à jouer, il fallait s’arranger de manière à être quasiment prêt pour la présentation de nos propres scènes tout en étant disponibles pour la répétition de celles de ceux à qui on donnait la réplique. Une salle était mise à disposition, durant l’un des trois jours, pendant une heure pour chacune des scène. Pour le reste du temps, il fallait se débrouiller.
Ce rythme de travail exigeait que je reste sur les lieux de 9h (parfois à partir de 8h30) à 18h en moyenne, car je devais être chez moi à 20h30 au plus tard. Les autres candidats restaient, parfois, même au delà de minuit. Au fil des jours, les visages, qui au départ étaient pleins de vie et de dynamisme, semblaient peu à peu, ne plus réagir aux stimulations de la vie. Durant ces trois jours, il y a eu des moments très intenses. Des rires, des pleurs, des crises de nerfs… tout cela se passait parfois au même moment, dans ce lieu à l’apparence vétuste, dans lequel les sons résonnent. Parfois, je me demandais si certaines réactions faisaient partie d’une scène en répétition ou si il s’agissait de la vraie vie. Le plus souvent, il s’agissait d’une scène. Dans le doute, il valait mieux ne pas intervenir, pour éviter de s’attirer les foudres des candidats.

Rencontres et expérience enrichissante

On pourrait s’attendre à ce qu’une ambiance tendue règne en ces lieux , vu que tous les candidats étaient en compétition pour beaucoup moins de places que leur nombre. Eh bien, ce n’était pas le cas. En général, c’est plutôt dans une ambiance paisible que se sont déroulés ces épreuves. C’est ainsi que j’ai pu rencontrer et partager des moments avec Sophie, Jonathan, Marine, Melissa, Adriana, Antoine, Anne et quelques autres. Certaines de ces rencontres n’ont abouti qu’à une discussion intense, d’autres sont des contacts à long terme mais, chacune des rencontres m’a été enrichissante et elles n’auraient pas été possibles si ce lieu n’avait pas été accessible. Sans accessibilité, il est impossible pour ceux qui ne sont pas en situation de handicap de rencontrer ceux qui le sont, et de se rendre compte de ce qu’ils peuvent avoir en commun.
J’ai présenté les deux scènes pour lesquelles je donnais la réplique, ainsi que mes deux scènes, pour lesquelles des candidats s’étaient portés volontaires pour me donner la réplique, et mon aventure s’est arrêtée là. C’est sans regret que je savoure les souvenirs liés à cette expérience.
Réflexion
Si il y avait plus de lieux et transports accessibles, il y aurait plus d’échanges entre les personnes, qu’elles aient des déficiences physiques ou non. Mais je pense que l’un des facteurs qui pourrait apporter un changement en ce qui concerne l’accessibilité des lieux et des transports, serait la visibilité de ceux qui vivent, de manière directe, les conséquences de l’inaccessibilité. Pour être visible, je pense qu’il est important de profiter de ce qu’il existe d’accessible. Etant donné que tout le monde vieilli un jour, on se retrouve tous face à des difficultés d’accès à un moment donné de la vie. Parce qu’il serait dommage de se retrouver avec beaucoup moins de choix de sorties, je pense qu’il est important que nous nous impliquions tous pour rendre nos villes un peu plus accessibles chaque jours.

Remerciements
Je remercie celle grâce à qui j’ai pu envisager de m’inscrire à ce concours.
Je remercie mon neveu (N. L. S.) de 12 ans, pour l’aide apportée (en râlant un peu) lorsque je devais retenir mes textes.

Merci à mes ami(e)s pour leur enthousiasme face à ce projet.

Merci à Sophie pour la sincérité de ses mots.

Merci à Melissa.

Merci à Jonathan d’avoir été disponible à donner ses conseils justes et bienveillants pour l’une de mes scènes et celles d’autres candidats.

Merci à mon infirmière qui s’est montrée compréhensive lorsqu’elle n’a pu se reposer le dimanche parce que je devais donner la réplique pour une répétition de scène.

Merci aux lecteurs de Wheelchair In The Wild, grâce à vos réactions (sur la page ou par messages), »Petit Cyborg » connaît un peu mieux vos attentes.