Un temps pour se plaindre, un temps pour agir et un temps pour apprécier

Le 22 octobre 2019, j’ai commencé le présent article et lui ai donné ce titre. A ce moment-là, nous n’étions pas en pleine pandémie et seule une minorité vivait de façon confinée.  Je ne sais quelle aurait été la suite de l’article commencé ce jour-là, mais au début de celui-ci je disais souhaiter faire une pause pour apprécier le chemin parcouru grâce à ceux qui m’entourent. J’affirmais aussi que seul.e, il est difficile d’avancer, et lorsqu’on vit en situation de handicap, c’est encore plus compliqué. J’y écrivais qu’avant de poursuivre celui-ci, je remercie mes amis encourageants, ma famille, et ma sœur en particulier, ce n’est pas ma seule soeur (mais elle se reconnaîtra) à qui il est possible que je ne montre pas assez ma reconnaissance. C’est encore de cette manière que je souhaite commencer l’article d’aujourd’hui. 

Depuis ce 22 octobre 2019, beaucoup de choses se sont passées… et à présent, nous sommes, pour la plupart d’entre-nous, en pleine distanciation sociale, pour protéger les uns et les autres. Chacun le fait pour une ou des raisons différentes et le résultat ne peut qu’être positif.

Cette période nous permet de découvrir les inégalités sociales qui existent, tout le monde ne peut se permettre de commander ses courses ou ses repas, par exemple. Nous découvrons aussi à quel point certains d’entre nous sont isolés. J’ai été surprise de voir la vitesse à laquelle des activités ludiques ont été mises en place… Durant des années, à cause du manque d’accessibilité des lieux publics, des femmes, des hommes et des enfants en situation de handicap sont isolés et s’ennuient comme des rats presque morts, mais il n’a fallu qu’une semaine après le début du confinement, pour que des solutions soient apportées pour combattre l’ennui vécu par la majorité. J’ai aussi été agréablement surprises de voir apparaître diverses plateformes d’entraide. Avons-nous besoin de situations d’urgences immédiates pour apporter des solutions à des problèmes existants? Le vieillissement de la population n’est-il pas une question suffisamment urgente pour penser à la vie sociale à long terme en adaptant nos villes et villages belges, pour que chacun se sente bien?

Depuis le 21 mars, je ne suis sortie de chez moi que le 22 avril, un mois après, parce qu’il me fallait reprendre mes séances de kinésithérapie, et je dois vous avouer que le fait de ne pas être sortie de chez moi pendant aussi longtemps, ne change pas grand-chose à ma vie. En raison du manque d’accessibilité des lieux publics, en général, je travaille de chez moi, de toutes façons, les sorties entre amis nous sont compliquées à organiser, nous perdons tellement d’énergie à réfléchir à trouver des lieux accessibles pour nous voir, que nous finissons par ne plus nous voir. En ce qui concerne les relations sentimentales, rencontrer des gens ou être en relation est compliqué lorsque l’envie de rencontre et l’envie de vos amis de vous présenter des gens ne suffisent pas, parce qu’il y a peu de lieux auxquels vous avez physiquement accès. Alors il y a près d’un an, alors que je suis une amoureuse de l’amour, j’ai décidé de faire une croix à ce domaine. J’investi donc cette énergie dans autre chose. De quoi je parlais déjà ? Ah oui ! Le confinement me rend inutile dans mon ménage (répartition des tâches dans la famille), mais n’appauvrit pas plus ma vie sociale.

J’ai une sœur, vous l’aurez compris… elle et moi vivons ensemble en ce moment. J’ai la chance de l’avoir dans ma vie… je suis contente d’en être consciente depuis assez longtemps. J’aurais eu honte de ne m’en rendre compte que depuis ce confinement.  Celui-ci, révèle en revanche que c’est sur elle que tout retombe lorsque le système habituellement en place, pour mon indépendance et l’équilibre de nos vies, s’effondre. Je vais expliquer plus clairement…

En Belgique, certaines personnes en situation de handicap, qui en font la demande (argumentée), ont le privilège d’avoir des Assistants Personnels. Aujourd’hui, je fais partie de ces privilégiés depuis 3 ans. Un certain budget (Budget d’Assistance Personnelle), m’est donc « réservé », grâce à cela, je peux engager des gens qui m’assistent en faisant certaines des choses que j’aurais pu faire, si je marchais. Du côté francophone, la personne en situation de handicap fait d’abord appel aux services d’assistances personnelles, effectue les paiements, puis se fait rembourser entièrement ou partiellement sur base de factures (et preuves de paiements). Lorsque le confinement a été décidé, la plupart des services auxquels il est possible de faire appel pour l’assistance personnelle ont dû fermer et dans ces cas là, c’est sur la famille des personnes ayant des déficiences que les vies de ces dernières reposent. Tout le monde n’a pas de bons rapports familiaux, c’est donc une situation délicate. En plus de cela, cette situation de confinement, que nous traversons, est psychologiquement troublante pour la plupart des êtres humains, parce qu’elle implique certains changements dans nos manières de fonctionner. Nous faisons en sorte de protéger nos proches et de nous protéger, faire les courses, prend plus de temps qu’avant, nous avons peur du virus, nous nous tenons à distance de ceux qui ne vivent pas sous le même toit que nous, mais que nous aimons.  Lorsqu’on ajoute à tout ceci le fait de remplacer l’assistance personnelle auprès d’un proche en situation de handicap, cela peut être une source de stress considérable…

En Belgique toujours, d’autres personnes en situation de handicap, n’ont pas accès à ce Budget d’Assistance Personnelle, parce qu’ils ne « présentent pas les critères » nécessaires pour y avoir accès. D’après ce que j’ai compris, l’un de ces critères, est le fait d’avoir une ou des activités qui justifient de faire appel à des Assistants Personnels ou que la famille s’en sorte difficilement, sans aucun autre soutien que celui des infirmières à domicile. A partir de quand la famille peut-elle considérer qu’elle s’en sort difficilement ? Comment peut-on avoir des activités, ludiques ou professionnelles si la ville dans laquelle on vit n’est pas accessible ? Certaines personnes n’ont donc pas attendu la période de confinement pour dépendre de proche ou prendre en charge des proches avec qui ils n’ont pas nécessairement de bons rapports. Pour ces personnes, je ne pense pas que cette situation de confinement apporte beaucoup de changements à leurs vies.

Donc, 365 jours par an, certains humains sont confinés la plupart du temps parce qu’ils sont exclus, de la plupart des lieux publics de leurs villes et villages belges. Lorsque nous serons libres de sortir, lorsque le confinement sera derrière nous, j’espère que ceux et celles qui vivent l’isolement, pour la première fois, se souviendront de la manière dont ils se sentent aujourd’hui, durant cette période de distanciation sociale, et penseront à s’impliquer pour rendre nos villes et villages accessibles. Si nous ne le faisons pas, un jour, ce n’est pas une pandémie qui nous ramènera au confinement, mais la vieillesse, car souvent avec elle, viennent une baisse de nos capacités physiques et que nos villes ne sont pas prêtes à permettre à tous de vivre librement.

Tous autant que nous sommes, chacun à son niveau, dénonçons le fait que nos villes sont inaccessibles et excluent certains d’entre nous, agissons ensuite en collaborant avec ces exclus et/ou leurs familles, le jour viendra où d’une façon ou d’une autre, nous pourrons apprécier les changements auxquels nous aurons participé.

Comme d’habitude, prenez soin de vous et de ceux que vous aimez,

Petit Cyborg